Bozar - Salle Henry Le Boeuf , Bruxelles

Concert d'ouverture: Metropolis Rebooted

Cette expérience magistrale explore la rencontre entre le film "Métropolis" de Fritz Lang et la composition musicale de Martin Matalon.

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Expressionniste, géométrique, visionnaire, le film muet de Fritz Lang Métropolis (1927), chef-d’œuvre du septième art, annonce un monde, machinique et totalitaire, qui ouvre sur un univers de science-fiction. En 1995, le compositeur argentin Martin Matalon en écrit la partition, Metropolis Rebooted, qui, initialement commandée par l’IRCAM et l’ensemble Intercontemporain à l’occasion d’une exposition sur le thème de la ville, sera réécrite jusqu’en 2021. Alliance formelle entre les images du film et une composition musicale pour orchestre et électronique, cette expérience magistrale, dirigée par Ilan Volkov pour le Brussels Philharmonic, explore les univers, parallèles ou sous-tension, que la musique et l’image produisent, ensemble et parfois séparément, à l’écran et dans l’espace de l’écoute musicale. Atmosphérique, matiériste ou percussive, la musique y rencontre l’esthétique du montage, du clair-obscur ou encore l’expression lyrique des personnages du film de Fritz Lang dans un ciné-concert organique et architecturé, irrigué par des écritures musicales complexes qui, de l’informatique musicale au free jazz, entrelacent les esthétiques contemporaines.

Entretien avec Martin Matalon

- Initialement créée en 1995, oeuvre jouée à de très nombreuses reprises dans le monde entier, en quoi la version de Metropolis Rebooted, présentée dans le cadre de Ars Musica, a-t-elle évolué depuis sa création originale ?
Dans cette version, les timbres musicaux et les matières sonores sont bien plus larges et bien plus divers. Il y a aussi des plans musicaux qui n’existaient pas avant. Une des caractéristiques de mon écriture est de mettre en valeur chacune des voix au sein de l’ensemble ou de l’orchestre. Presque chaque instrument y possède son propre solo. C’est la même idée dans les deux versions, bien que dans la version orchestrale j’avais une plus grande variété d’instruments à ma disposition.

- En 1927, Metropolis est un film muet et visionnaire de Fritz Lang qui parlait déjà du futur robotique vers lequel le monde allait. Toutefois, l’un des défis de votre projet n’est-il pas de s’inscrire aussi entre l’image et le son, entre le langage visuel et les particularités de la composition sonore ?
En fait l’interdisciplinarité a été très présente tout au long de mon parcours, surtout depuis les deux dernières décennies. Pas seulement dans des ciné-concerts mais plus récemment dans l’Opéra, et aussi les contes musicaux, le théâtre musical, la poésie musicale, la musique et les arts du cirque…
Le travail avec l’altérité est un chemin nécessaire qui nourrit amplement mon langage musical. Lorsqu’on travaille avec l’autre, on est confronté à leur problématique et non seulement nous nous l’approprions, elle devient la nôtre, mais nous sommes souvent face à des situations que nous n’aurions pas pu imaginer - on est bien obligé de trouver des solutions musicales en dehors de notre confort zone. Le travail avec l’altérité, quelque part devient une source du développement de mon langage musical. Je dis souvent à mes étudiants que, pour faire de la musique et autre chose, il faut tout d’abord faire de la musique. L’interdisciplinarité est enrichissante et intéressante du moment que la première partie de l’équation est faite avec la même qualité, avec le même souci formel, avec le même soin que l’on vise lorsqu’on écrit une musique de concert.
Aujourd’hui le son est le principal paramètre de la musique comme l’était, peut-être, l’harmonie au XIXe siècle. À propos de Metropolis Rebooted, il était important d’être très attentif au montage du film, pas nécessairement pour le suivre aveuglément, mais plutôt pour trouver des points de rencontre entre la musique et l’image et ainsi créer l’illusion que la musique est toujours connectée au film. La place des silences dans un projet de deux heures et demi est également essentielle. J’ai répertorié quatre types de silences que j’ai utilisé autant que possible : le silence expressif - pour créer un moment intime -, le silence fonctionnel, le silence structurel et le silence sémantique - la musique est alors neutre, presque non existante, ce qui lui donne une fonction de silence. Le contrepoint entre les images et la musique est une problématique importante à laquelle il faut toujours être attentif. Parfois, il est nécessaire de créer un espace pour les images et savoir quand il faut se retirer musicalement… À d’autres occasions, quand le rythme du film peut être perçu comme lent, la musique peut prendre le relais… En somme, c’est un aller-retour entre la musique et l’image – le spectateur/auditeur devrait être en immersion dans la réalisation sonore et le langage visuel du film.
Le terme « ciné-concert » est fondamental : il met le mot « concert » au coeur du projet. Le film est projeté normalement, mais il y a un orchestre en direct et un décor sonore immersif - le son entourera le public et il sera face à la magnifique présentation frontale du film. Cela fait de cette expérience un spectacle vivant et crée le sentiment excitant d’expérimenter quelque chose de nouveau pour les musiciens et les auditeurs. Ce n’est pas de la « musique de film » per se ; dans un ciné-concert, généralement fait avec des films muets, la musique tient une place primordiale, d’une certaine manière, elle devient la « parole » du film.

- Comment cette composition s’inscrit-elle dans votre oeuvre qui aime entrelacer les écritures musicales complexes et les esthétiques contemporaines, et, en l’occurence, une dimension électronique de la musique ?
À l’Ircam, institution qui est à l’origine du projet, les compositeurs travaillent en collaboration avec des réalisateurs en informatique musicale (c’est un concept formidable que Pierre Boulez a mis en oeuvre en créant un écosystème de compositeurs travaillant avec l’électronique). Les RIMs (Réalisateurs en Informatique Musicale) maîtrisent des logiciels extrêmement sophistiqués, que je comprends dans les détails mais que je suis incapable de programmer. Je connais Thomas Goepfer du fait de projets communs antérieurs. En tant que Réalisateur en Informatique Musicale, il sert d’intermédiaire entre les chercheurs de l’Ircam et les compositeurs, de plus, Thomas est lui-même musicien. En travaillant sur ce projet, Thomas a souvent fait des suggestions qui reflétaient les dernières avancées d’une recherche dont je n’étais pas nécessairement au courant… Thomas et moi avons passé plusieurs heures par jour pendant plusieurs semaines à travailler ensemble. Il était responsable de toute la réalisation informatique de cette nouvelle version. Au total, quatre RIMs ont participé à la partie électronique de la version originale et de Metropolis rebooted : Max Bruckert, Christophe de Coudenhove, Atau Tanaka et Thomas Goepfer.

- Quels sont les scènes, cinématographiques et musicales, où l’intensité visionnaire de Fritz Lang vous paraît être toujours d’une particulière intensité.
Il y a deux scènes que j’affectionne particulièrement mais pour des raisons totalement opposées. Ainsi, dans la scène d’ouverture, Fritz Lang expose le décor machinique de la ville : des mouvements mécaniques de gigantesques engrenages, de leviers mécaniques, de poulies s’unissent dans une composition cubiste. La musique, spatialement augmentée par l’utilisation de l’électronique, ajoute la dimension sonore à l’image en l’augmentant de manière presque palpable, plus loin encore, dans la relation entre l’espace et le son. Pour chaque séquence visuelle, il existe un objet sonore, un pattern rythmique particulier constitué de véritables formes dans l’espace : axes croisés, rotations, trajectoires opposées, mouvements s’éloignant et se rapprochant plus ou moins vite…
À l’inverse, la dix-neuvième scène, presqu’à la fin du film, est la scène de l’inondation. Des images de foules, violentes et dynamiques, se succèdent, contre toute attente, dans une ambiance musicale statique, lente et intimiste. Dans cette scène, la relation entre les images et la musique est à son moment le plus divergent – paradoxalement, cette relation valorise le visuel et le sonore… Il y a des nouvelles sections que j’apprécie particulièrement dans la version symphonique. À la fin de la deuxième scène, vous voyez les privilégiés et leurs enfants dans les Jardins suspendus. Quand le héros tombe sous l’emprise de l’héroïne. Il y a plusieurs plans qui se complémentent et fonctionnent très bien ensemble. Les trompettes jouent un trio de solos avec sourdines, l’électronique, d’une part, commente ces solos et les prolonge dans l’espace, dans un autre plan l’électronique crée une atmosphère totalement statique en “ gelant ” les notes jouées par les trompettes ; c’est un moment où le temps se fige complètement… Les cordes filtrées par des sourdines et les bois aussi filtrés (souffle seulement) réalisent des trajectoires spatiales éthérées et rapides - également prolongées par des transformations électroniques. Voilà un moment où cinq ou six plans différents coexistent et se complémentent, c’est pour moi un moment de polyphonie totale - non pas une polyphonie de notes mais une polyphonie de plans sonores. Un instant poétique.

A film from the holdings of the Friedrich-Wilhelm-Murnau-Stiftung (www.murnau-stiftung.de) in Wiesbaden.

En coopération avec l’Orchestre de Paris et l’Orchestre du Gürzenich de Cologne.