Musée des instruments de musique , Bruxelles

Martin Loridan : Pédale étendue : repenser l'intra-piano

Conférence / concert dans le cadre de l’évènement Piano Expérimental.

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Contemporain, d’improvisation, augmenté de systèmes technologiques ou préparé, le piano est un instrument d’expérimentation sans limites… L’évènement Piano expérimental se compose de trois conférences-concerts, consacrées à l’aventure musicale infinie du piano.

Pour Martin Loridan, la notion de Pédale étendue : repenser l’intra-piano, consiste en l’élargissement du jeu pianistique depuis une exploration, érudite, de la technicité de son orfèvrerie instrumentale, ce qu’il nous démontre en compagnie de Gian Ponte et du duo Tomoko Honda / Sara Picavet.

Entretien avec Martin Loridan

- Pourriez-vous nous présentervotreprojet Pédale étendue : repenser l’intra-piano ?
La pédale étendue est un système innovateur permettant le contrôle précis des étouffoirs au-delà du clavier. Le dispositif est une extension physique qui se greffe au piano, permettant l’accès à la pédale forte à distance. Le contrôle des étouffoirs à distance élargit considérablement le jeu pianistique contemporain, créant de nouvelles pistes pour la création : le corps du piano se transforme, devenant un objet sonore complexe aux multiples résonances. Au sein des compositions, le piano est un corps géant dont les multiples parties internes génèrent des timbres et des réverbérations complexes, contrôlés par le nouveau système. 

- Une ouverture aux autres arts serait-elle possible avec une telle exploration interne de l’instrument pianistique ?
Si cette recherche est avant tout de nature organologique et musicale, l’ouverture vers les arts chorégraphiques et visuels - par exemple à travers les gestes spectaculaires, des positions nouvelles ou non conventionnelles de l’instrument par rapport au public, et des musiciens par rapport au piano, ici un corps instrumental géant dont on exploite les multiples facettes - est pleinement considérée au sein des compositions, et pourrait tout à fait se recréer à travers une écriture d’essence chorégraphique. Dans le duo, nous avons par exemple beaucoup joué sur le visuel. Les interprètes portent des gants, frottent et grattent les cordes et les parties du piano en mouvements parallèles, contraires, en suivant leurs respirations.... Par ailleurs, le piano étant complètement ouvert et repositionné par rapport au public, mettant à nu ses moindres nuances, le visuel est prépondérant. Nous pensons d’ailleurs à une projection vidéo en direct des parties internes du piano, mettant en valeur bois, métal, vibrations et contacts avec les mains et les autres accessoires. 

- Est-ce de l’improvisation ou de la musique écrite… Quel répertoire jouez-vous ainsi ?
Un peu les deux... Mais l’improvisation est aussi un processus ! Lors de la composition des œuvres, l’improvisation a été un élément prépondérant : tout est à recréer, il faut expérimenter... L’improvisation créée un matériau, parfois riche ou inattendu, que l’écriture canalise. Cette dualité est intégrée dans la partition des œuvres, avec des passages précisément écrits et d’autres plus libres, aussi pour favoriser une certaine forme d’énergie. La pédale étendue permet de composer précisément les actions musicales : on ajoute le contrôle précis de la pédale au jeu intra-piano (ce qui n’est pas rien !), et on ouvre donc à une expression plus libre dans l’improvisation. Si, comme le soutenait Anton Rubinstein, la pédale est l’âme du piano, alors nous amenons ici l’âme dans le corps même de l’instrument, en proposant la réalisation d’actions auparavant impossibles. 

- Dans le cadre de Ars Musica 2022, dont la thématique est en filigrane la science, votre recherche semble tout à fait appropriée à cette thématique. Pourriez-vous nous dire pourquoi ?
La pédale étendue comble un vide dans le jeu du piano du XXe siècle et d’aujourd’hui. Il s’agit d’une forme de technologie qui à la fois prolonge et augmente ce qu’est le piano, en en poursuivant l’évolution, sans en bouleverser la structure, mais en permettant de la repenser. Comme toute forme de technologie musicale, c’est un outil au service de la création et qui ne peut se développer qu’à travers cette dernière. C’est donc à travers les rapports entre science, organologie, design, construction, interprétation et composition que la pédale étendue s’est développée et poursuit son développement : la composition soulève des questionnements, mais aussi des challenges que le design et la construction relèvent (par exemple, la nécessité d’un double contrôle ou d’une précision accrue), le tout testé et validé à travers les œuvres et l’interprétation.