Giusy Caruso - T*ActiLE Technology and Action-led Experience in today's music performance.

Contemporain, d’improvisation, augmenté de systèmes technologiques ou préparé, le piano est un instrument d’expérimentation sans limites… L’évènement Piano expérimental se compose de trois conférences-concerts,consacrées à l’aventure musicale infinie du piano.

Avec T*ActiLE (Technology and Action-led Experience in today’s music performance), Giusy Caruso inscrit l’expérimentation pianistique au cœur de passerelles, technologiques et numériques, avec l’image et l’art de la performance.

Entretien avec Giusy Caruso

- Pourriez-vous nous présenter votre projet T*ActiLE ?
Le nom de mon projet T*ActiLE est un acronyme formé avec les thèmes de ma recherche artistique : technologie, action, expérience (Technology and Action-led Experience in contemporary music performance). Ce travail, que je conduis au Conservatoire Royal d’Anvers, en collaboration avec l’Université IPEM-UGent, se focalise, notamment, sur la combinaison entre l’aspect tactile et corporel de la production du son sur un instrument acoustique comme le piano, et l’utilisation des technologies spécifiques pour en “ augmenter ” le résultat sonore et visible, à travers le geste produit par les musiciens. Pour ce but spécifique de recherche artistique, les technologies de capture du mouvement (Motion Capture) et de détection de la tension musculaire (EMG) sont les plus efficaces. Ils permettent de transformer, et de traduire, le geste en son ou/et en projection vidéo. Le résultat est la création de nouvelles formulations de performance pour piano, “ augmenté ” par le son électronique et la projection vidéo, qui sont produites par le corps des musiciens en AR ou VR (cf. Avatar Piano Project réalisé, à Milan, en collaboration avec la société LWT3).

- Pourquoi votre projet et sa dimension collaborative déplacent-ils la musique vers d’autres arts tels que les arts plastiques ou la performance ?
Le projet se base sur le filon esthétique qui considère la combinaison de tous les aspects tactiles de la perception. À partir de la philosophie de Maurice Merleau-Ponty et les théories sur l’embodiment dans les neurosciences, le rapport fusionné entre le corps et l’esprit a déterminé un nouveau moyen de “ sentir ” . Cette direction a de plus en plus conduit l’art vers une approche interdisciplinaire, capable de montrer la synesthésie qui caractérise la perception du monde, et de permettre au spectateur de s’immerger dans une expérience “ tactile ”, c’est-à-dire une manière de comprendre la réalité extérieure avec le “ toucher ” de tous les sens. 
Le projet T*ActiLE embrasse la “ synesthésie ” et la multidisciplinarité de cette philosophie et de cette esthétique avec le but de mettre le musicien en relation avec le spectateur, à travers une amplification et une visualisation plus évidente et théâtrale de son geste expressif visant, de cette façon, à la production des images sonores (les sons acoustiques et électroniques) et des images visibles (les projections vidéos). 

- Est-ce de l’improvisation ou de la musique écrite… Quel répertoire jouez-vous ainsi ?
C’est la combinaison des deux. Je ne peux pas dire que je suis une compositrice, mais j’ai commencé à jouer des improvisations depuis quelques années. Mon projet comprend des collaborations avec des compositeurs, qui sont ouverts pour partager leurs propres partitions fixées avec des moments laissés libres aux performers de s’exprimer avec leurs sons, leurs styles et leurs corps. Pour cela, j’ai été fascinée par l’approche avant-gardiste de l’artiste et compositeur Atau Tanaka. Il a introduit pour la première fois dans la performance musicale l’utilisation des bracelets Myo Armband, une technologie EMG pour relever la tension musculaire et la transformer en son avec des logiciels comme Max/MSP. Il a composé un morceau pour piano et Myo Armband qui s’appelle Suspensions. Ce morceau se base sur une partie écrite, avec la notation traditionnelle, et avec une notation spécifique qui guide une chorégraphie gestuelle par l’activation du son des bracelets, comprenant, aussi, les parties libres du performer. 
Sur la base de cette approche, j’ai conçu en collaboration avec l’artiste chercheur, compositeur et pianiste Umut Eldem, une autre performance appelée IN-TENSIONS.
L’idée ici est de rendre explicite au spectateur “ l’intention ” du pianiste dans la production du son à travers sa “ tension ” musculaire. Sur cette idée de base, Umut Eldem a écrit un morceau et, ensemble, nous avons conçu une notation particulière, inspirée par la densité du spectrogramme du son, qui montre au pianiste, dans la première partie, comment régler sa tension musculaire en jouant des accords ou des notes. Cette partie est accompagnée d’images qui suivent la production des sons électroniques produits par “ l’intention ” et la “ tension ” des gestes du pianiste. La deuxième partie de ce morceau présente une interaction du pianiste avec le son acoustique produit par sa propre improvisation, au piano, et le son électronique enregistré en temps réel et manipulé par le mouvement et la tension de son geste, en combinaison avec la production des images et des sons électroniques qui sont créés par Umut Eldem.
J’ai aussi expérimenté des improvisations sur le son produit par les ondes d’énergie envoyées par le cerveau, capturées par la technologie EEG et transformées en sons dans une performance appelée WAVES, conçue avec l’artiste et chercheur Peter Friess. 

- Dans le cadre de Ars Musica 2022, dont la thématique est en filigrane la science, quelle dimension de votre recherche vous semble la plus appropriée à cette thématique ?
Depuis quelques années je suis intéressée à développer, comme artiste chercheuse, une expérimentation artistique inspirée par les théories des neuorosciences, notamment l’embodied music cognition, qui souligne le rôle central de la fusion et de l’interaction entre le corps et l’esprit dans la création et la communication musicale. Pour cela, la combinaison de l’art, de la science et de la technologie se déroule, dans mes études, spécifiquement sur l’investigation de différentes formes d’interaction musicale : l’interaction entre le corps du musicien et son instrument pour la production du son ; l’interaction entre le corps des différents performers à travers le geste ; l’interaction entre le musicien et les nouvelles technologies (human-machine interaction) qui peuvent favoriser, aussi, la communication et l’interaction entre le musicien et le spectateur. Cette dernière est une thématique très actuelle que je suis en train de poursuivre dans mon projet de récitals de piano “ interactifs ” #INTER-PLAY, destiné à différents types de publics (jeunes, enfants et familles, adultes), que j’ai développé chez Piano Maene à Bruxelles, et que j’ai conduit aussi à Cosenza (ma ville natale), avec le soutien de la Fondazione Attilio ed Elena Giuliani et Museo Consentia Itinere chez Villa Rendano. Ainsi, les mots-clés de mon parcours d’artiste chercheuse et pianiste sont la création et la production de formules d’une performance interactive et multimédiale et, en même temps, la découverte de nouvelles connaissances artistiques et scientifiques, notamment dans mon étude de cas sur le rapport entre l’intention et le geste du performer, et l’aspect de la communication vers le spectateur.  Ces buts embrassent les thématiques proposés par Ars Musica, qui est ouverteà diffuser de nouvelles formes de créations musicales contemporaines, mutlidisciplinaires et multimediales, afin d’élargir les possibilités expressives des musiciens.