Centre culturel d'Uccle , Uccle

Soirée hommage à Philippe Boesmans | David Lively

Un hommage à l’immense compositeur Philippe Boesmans, disparu en avril dernier.

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Pianiste de formation, compositeur autodidacte, l’œuvre de Philippe Boesmans (1936-2022) est féconde et multiple. Au fil d’un répertoire constitué de musiques solistes ou concertantes, Philippe Boesmans a écrit de la musique de chambre, notamment à ses débuts. Puis, dans la seconde partie de sa carrière, le compositeur a créé de nombreux opéras. Certains ont été mis en scène par Luc Bondy (de La Ronde en 1993 à Yvonne, princesse de Bourgogne en 2009). D’autres furent composés sur des livrets de Pierre Mertens (La Passion de Gilles, 1983) ou ultérieurement de Joël Pommerat (Au Monde, 2014 et Pinocchio, 2017) qui en signa également les mises en scène. Son œuvre opératique lui valut une reconnaissance mondiale. Pour retracer l’intensité créative d’une telle carrière et rendre hommage au musicien disparu cette année, le quatuor Tana et David Lively explorent la subtilité, l’exigence et la complexité, la délicatesse de sa musique de chambre et pour piano. Et lui associent l’œuvre pour quatuor à cordes d’un autre compositeur majeur, Métamorphoses nocturnes de György Ligeti (1954). Ainsi, les créations de Philippe Boesmans (Cadenza, 1978, Summer Dreams et Tunes, 1994) sont mises en perspective dans l’histoire musicale, incandescente, des résonances et des citations que les œuvres entretiennent entre elles.

Sébastien Gaxie

Dans l’affolement général du 16 mars 2020, j’ai eu l’immense chance de pouvoir partir me confiner dans la maison familiale de Belle-île en mer en Bretagne. En arrivant sur mon bord de falaise, j’ai écrit sur les réseaux sociaux : « Quelque part sur une île, du haut de ses fleurs, le poirier considère avec circonspection nos peurs. ». L’arbre du verger m’avait rassuré.

« New world » est une pièce pour piano née dans ce moment de grande respiration du monde, au rythme de tortue de deux mesures composées par jour pendant quatre mois. C’est l’un des plus beaux moments de ma vie parce que l’urbain que j’étais, a pu contempler une saison pleine dans son entière translation, plongé dans une nature océanique sublime et délestée des hommes. Voir toute une saison passer, c’est un privilège normalement réservé aux retraités, dans nos sociétés ultra-connectées faites de courses poursuites contre le temps.

Ce fut un moment de solitude, d’espoir, d’émerveillement, de prise de recul, de rêve d’un nouveau monde, de culture d’un jardin.

Face à cette envie d’une nouvelle vie, il fallait une nouvelle musique, pour le piano mon instrument, mais surtout une musique proposant une nouvelle harmonie dans mon parcours de compositeur.

 « New world » est rigoureusement construit sur des croisements de spectre harmoniques. 

Dans tout son, sont compris d’autres sons. C’est une loi de la nature. Pour les acousticiens, tout son entretenu, par un souffle ou un frottement est harmonique c’est à dire qu’il contient une infinité de fréquences qui sont des multiples entiers de la note la plus grave du son appelée la fondamentale.

Dans « New world », il y a une ligne basse un peu comme dans le jazz, faite de deux notes. Elle est donnée à la main gauche. Tout les éléments joués par la main droite, sont des notes contenues (théoriquement) dans les deux basses. Il en résulte une musique qui « sonne », qui fait vibrer l’instrument, une musique qui est toujours harmonique voir consonante car elle respecte un certain ordre naturel des sons, elle joue avec. Comme l’écart entre les deux notes de basse change de façon cyclique les gammes qui en découlent sont toujours renouvelées. Deux fondamentales distantes d’un demi ton génèrent par leurs harmoniques un mode proche des musiques orientales par exemple. Par ailleurs, le rythme et la pulsation jouent un rôle crucial. Il n’y pas de rubato, le temps peut bouger mais doit avoir quelque chose d’immuable, comme dans la musique indienne, afin de profiter précisément de toutes ses démultiplications. 

La dramaturgie de la pièce est faite de trois grands moments : 

Une longue introduction faite de douceur et de mystère installe le climat harmonique et thématique de l’oeuvre avec sa basse obstinée appelée aussi ostinato.  Cette introduction s’achève dans une sorte de grand « reset » qui se propage dans tous les registres de l’instrument.  

Un long développement avec une densification rythmique progressive par le truchement de valeurs pointées, nous amène à un climax d’une grande virtuosité avec 5 ou 6 plans sonores qui restent toujours coordonnés rythmiquement. 

Un continuum nous conduit alors à une troisième partie toujours construite avec le même matériau mais qui devient hiératique, quasi religieuse. Le temps s’allonge par des polyphonies à quatre voix en augmentation qui surgissent d’harmonies chatoyantes comme si l’on avait remonté le temps de l’histoire de la musique tout en ayant entrevu de nouveaux territoires.

Je travaille avec le pianiste David Lively depuis plus d’une décennie. C’est un interprète tout aussi talentueux que lumineux, très fin connaisseur de la musique de création. C’est un honneur qu’il me fait de créer à Bruxelles, deux ans et demi après son écriture, en ce mardi 29 novembre 2022 « New world », qui m’est très cher. 

J’espère que ce petit moment de treize minutes viendra peut-être questionner votre monde idéal ? Nous en rêvons tous d’un…

Dédicace: Julie Sarfati